Après 21 ans passés en Amérique du Nord où il a étudié, travaillé et entrepris, Rodrigue Fouafou a décidé de rentrer en Afrique. Ce camerounais installé au Rwanda est le fondateur et directeur de Wouessi Ltd, une firme spécialisée dans la technologie et le numérique. Il a accepté de nous raconter son parcours et son expérience.
Pouvez-vous nous dire brièvement qui vous êtes ?
Merci chère frère de m’avoir donné l’opportunité de partager mon expérience. Et je veux vous remercier pour votre initiative parce qu’on est à l’ère où il est important de créer et partager afin de développer notre propre histoire. Ceci commence par des initiatives comme la vôtre. Cela dit, je suis originaire du village Bafoussam la capitale de l’ouest Cameroun où j’ai eu mon Baccalauréat C au Lycée classique.
Quel est votre parcours académique et professionnel ?
Tout juste après le Bac, je suis allé continuer mes études au Canada. J’ai précisément étudié le génie informatique à l’université d’Ottawa. Une fois gradué j’ai travaillé pour des entreprises comme IBM et Nortel. En 2009, j’ai démissionné de chez Nortel pour débuter ma carrière entrepreneuriale.
Qu’avez-vous fait ensuite dans le domaine de l’entreprise ?
J’ai développé une plateforme de restauration en ligne, avec pour contenu les recettes vidéo des chefs étoilés du guide Michelin. Ce site web est devenu en 2011 le 4e plus populaire au monde d’après la revue The New Yorker. Après cette venture de 7 ans, et soucieux de faire quelque chose de différent, j’en suis sorti pour aller à la Silicon Valley en Californie, et plus précisément à Palo-Alto pour lancer ma deuxième entreprise. C’est durant mon séjour là-bas que j’ai réalisé que c’était sur l’Afrique qu’il fallait mettre le focus surtout quand j’ai vu mes amis de la Californie me laisser pour aller en Afrique créer des startups.
Votre regard se tourne donc vers notre continent. Comment procédez-vous pour opérer ce retour ?
Je me suis replié au Canada où j’ai créé avec mon partenaire Canadien Marc André, une structure d’encadrement et d’investissement des startups africaines dénommée HartNantemah.
Ce nom semble encore inspiré par un contenu africain. Qu’en est-il ?
Vous avez raison. C’est une combinaison entre le nom de famille de famille de mon partenaire canadien qui s’appelle Hart, et Nantemah qui signifie Lion en langue Bafoussam.
Que fait cette entreprise concrètement et quels sont les résultats ?
On identifie la prochaine génération des talents innovateurs africains. On les encadre, investit sur eux, les mentors et les développe. Depuis 2012 on a investi sur plus de 45 startups dont 5 sont en train de décoller. Au Cameroun par exemple on a investi dans le jeu vidéo qui s’appelle Kyro Game. Au total en Afrique en 9 ans on a investi dans 45 projets dans 15 pays plus précisément. Après avoir passé plus de 21 ans au canada, l’année dernière je suis retourné en Afrique pour m’établir. Ainsi, j’ai choisi le Rwanda comme pays d’accueil pour pouvoir continuer ma mission de développer le continent dans le domaine technologique.
Votre entreprise s’appelle Wouessi Ltd. À quoi renvoie le mot « Wouessi » ?
Le nom Wouessi en pays Bamiléké signifie Providence, quelque chose qui tombe du ciel. En somme, quelque chose qu’on n’attendait pas et qui donc vient de Dieu. J’ai choisi ce nom pour représenter ce que je suis en train de bâtir ; comme quoi ce n’est même pas pour moi ou pour personne. C’est vraiment une providence.
Wouessi a pour nom de domaine wouessi.com et opère dans le domaine de la Technologie et du Numérique. Pourquoi avez-vous choisi ce domaine ?
J’ai choisi le domaine de la technologie pour deux raisons. Premièrement, c’est mon milieu ; je m’y suis formé, j’en comprends bien le langage et j’en ai des connaissances. Deuxièmement, c’est là où les enjeux du monde conduisent ; il y a un aspect technologique dans tout ce qu’on fait. Notre continent en a vraiment besoin et nous sommes à la traîne. C’est donc important d’avoir une entité comme la nôtre qui va ramener le continent à sa place de leader des technologies numériques du futur.
Le Rwanda est effectivement présenté comme précurseur dans le domaine. Depuis combien de temps y exercez-vous ?
Wouessi.com est installé ici au Rwanda depuis Avril 2020 ; ça fait pratiquement 16 mois qu’on y opère. Nous avons à notre actif plus de 70 clients servis dont plus de 60% viennent de l’occident, et en particulier des États-Unis, du Canada et de l’Europe. Notre chiffre d’affaires projeté cette année est évalué à 250 000 USD.
L’un des problèmes du continent est le chômage des jeunes. Quel est votre effectif et le profil du personnel ?
Nous sommes une vingtaine dont la moitié basée au Rwanda ; l’autre moitié se répartit entre le Cameroun, la Côte d’ivoire, le Mozambique, le Sénégal, les États-Unis et le Canada. Notre équipe est grandissante, car nous nous développons de plus en plus sur le continent et en dehors.
Pour être spécifique, quels services et solutions offrez-vous ?
Les services phares que nous offrons depuis notre démarrage il y a un an, sont le développement de sites web, de logiciels et d’autres types de solution technologique. À côté, nous offrons d’autres choses comme le Cloud, le branding, le graphique, l’hébergement, la stratégie digitale, la blockchain, l’intelligence artificielle, les logos, et le design. En plus, nous nous occupons de tout ce qui entre dans le marketing digital : le Search Engine Optimisation, le social media management, l’email marketing et bien d’autres choses encore.
Vous étiez au Canada depuis plus de 20 ans et 1 an aux USA à la Silicon Valley où beaucoup rêvent d’aller. Expliquez-leur pourquoi vous choisissez de vous relocaliser en Afrique. Est-ce un choix soudain ou mûri ?
C’était un choix muri mais l’exécution a été soudaine. Je m’explique : vous savez, c’est depuis 9 ans que mon focus est vraiment à 100% sur le continent, c’est-à-dire avoir dédié du temps pour produire la nouvelle pépinière Africaine. Je savais qu’à un moment donné pour atteindre mes objectifs et vraiment le réaliser bien, il fallait que je sois physiquement présent sur le continent ; mais je ne savais pas dans quel pays et exactement quelle année je devais y aller.
De tous les pays d’Afrique, vous avez choisi le Rwanda. Pourquoi ce pays précis alors que vous êtes du Cameroun ?
En janvier dernier, trois amis Canadiens qui sont des investisseurs m’ont interpellé en disant : « Rodrigue il va falloir que tu nous amènes en Afrique ; on aimerait comprendre et avoir accès aux opportunités Africaines nous-mêmes sans nécessairement passer par toi ». Ils ont eux-mêmes choisi des pays : le Benin, le Togo, la Côte D’ivoire et le Rwanda ; celui-ci étant le dernier dans la liste. J’avais voyagé dans près de 25 pays Africains avant cela, mais je n’étais jamais venu au Rwanda avant. J’ai atterri ici en janvier dernier et déjà à partir de l’aéroport j’ai été impressionné par la situation et l’environnement, de même que par la façon dont les gens sont organisés, structurés et sérieux. Aussi c’est un pays presque sans corruption ; en 16 mois de vie ici, je n’ai jamais été exposé à un fait où il faut que je paye pour avoir un service. Dans la vie d’un entrepreneur les choses comme ça sont fondamentales et enlèvent un bon fardeau sur le chemin, ce qui est génial ! Donc le Rwanda est un pays organisé, structuré, propre et sécurisé. Quand j’ai détecté que ce pays m’offrait tout cela, j’ai pensé qu’il était temps de me lancer. Je suis donc retourné à Toronto prendre mes affaires et je suis venu m’installer au Rwanda en Mars dernier. C’est ainsi que j’y ai lancé wouessi.com.
Quels sont les défis que vous avez rencontrés l’hors du démarrage de vos activités ?
D’abord, rentrer en Afrique après toutes ces années à l’étranger, cela prend un ajustement au niveau personnel. Il a fallu que je comprenne comment la société fonctionne, car je n’étais pas connecté à la culture locale. J’ai dû me réadapter pour pouvoir bien exercer. Se pose ensuite la question non pas de savoir comment trouver des clients, mais comment trouver les meilleurs talents qui comprennent les enjeux du futur et développer quelque chose qui a les normes de qualité élevée. En somme, trouver des gens qui croient en cette vision pour pouvoir se développer ensemble.
Et au niveau spécifique des financements ?
En ce qui est des financements, j’ai été surpris de constater à quel point il est difficile de trouver le capital en Afrique. Je le savais déjà, mais le toucher du doigt donne toute la mesure du problème. Par exemple, nous faisons affaire avec Ecobank ; ils ne peuvent même pas nous donner 10% de ce que l’on demande pour nous aider à nous développer, malgré notre bon historique de crédit. Les banques demandent beaucoup de contreparties et ça décourage quand on sait qu’une économie ne peut pas se développer sans crédit. En somme, on a encore beaucoup à faire dans ce sens.
Comment avez-vous surmonté toutes ces difficultés ?
Pour surmonter l’écueil financier, j’ai dû lever un capital à travers la Diaspora. Présentement, je suis en train de clore un seed round (Capital d’amorçage, NDLR) de 100.000$ US à 2,5 millions $ d’évaluation de la marque Wouessi.com. J’en ai déjà obtenu la moitié grâce aux gens de la diaspora et aussi à mes connexions africaines, des personnes que je connais directement et qui ont confiance en moi. Pour ceux qui veulent venir sur le continent dans le futur, il est temps de prendre leur ticket et Wouessi.com est une superbe opportunité. Bref, ce sont les gens de la Diaspora qui sont entrés et m’ont permis d’atteindre cet objectif de sécuriser 100 000$. C’est ça qui va me permettre d’engager les meilleurs talents à travers le continent et d’étendre la marque Wouessi.com dans d’autres pays.
Quel peut être l’apport de vos services au développement du Cameroun ?
L’apport de nos services pour le développement du pays est énorme car ces services digitaux sont importants et partout. D’ailleurs certains de nos clients sont au Cameroun et de même qu’une équipe technique de Wouessi.com à Buea, Yaoundé et Douala. En substance, 20% de notre staff vient du Cameroun, ce qui est significatif pour la création des emplois et des opportunités locales. Pour être concrets, c’est nous qui avons développé le site E-COMMERCE de L’UCB au Cameroun.
Est-ce à dire que vous avez un bureau au Cameroun ?
Non, mais nous comptons créer un bureau cette année, car les clients aimeraient qu’on ait une présence physique locale ; ça va grandement aider. Vous savez comme c’est un truc digital on n’a pas besoin d’être là, mais pour certaines raisons comme le Key Business avec le Gouvernement et les grandes organisations, il faudrait un bureau physique local. Présentement on envisage de le faire cette année. Suivront des bureaux physiques en Côte d’Ivoire, au Mozambique et au Sénégal.
Certains affirment que la diaspora est incontournable pour contribuer à l’essor de notre pays/continent. Quel est votre avis ?
C’est peu dire ! La Diaspora est vitale pour le développement du continent. Ce développement est aussi lié à la santé de la diaspora à l’extérieur. En 2018, j’ai été invité à Zurich en Suisse à une conférence sur l’investissement en Afrique pour parler de notre expérience africaine dans le développement de l’investissement en Afrique et de l’impact de la Diaspora. J’y ai réalisé à quel point la diaspora était importante dans le processus. Nous avons les compétences, l’expérience, les connaissances clés qui peuvent changer beaucoup de choses en Afrique.
Quid de la diaspora spécifique d’Europe qu’on entend beaucoup ces derniers temps dans d’autres domaines ?
En 2019 à Londres en Grande-Bretagne quand on m’a invité pour parler des investissements en Afrique, j’ai profité pour rencontrer la Diaspora européenne et mettre en place avec eux une chambre de commerce pour la diaspora globale Africaine à l’extérieure de l’Afrique. C’était pour associer avec des gens comme nous qui voient l’Afrique comme un enjeu du futur. L’idée étant qu’on mette nos ressources ensemble pour développer différentes initiatives sur le continent comme créer par exemple notre propre fond pour supporter différentes entreprises. En somme l’importance de la diaspora pour moi est définitivement capitale.
De plus en plus de jeunes du continent optent pour la technologie et le numérique, conscients sans doute des potentialités qu’offre ce domaine. Quels conseils pouvez-vous leur prodiguer pour réussir, professionnellement parlant ?
L’art d’apprendre n’est plus conventionnel comme à une certaine époque où il fallait faire les cours, aller aux répétitions, etc. De nos jours il y a déjà les outils à disposition. À condition d’avoir l’internet et l’électricité ; tout est disponible pour s’éduquer. L’éducation est ouverte ! Il faut donc choisir un domaine où on se sent à l’aise et dans lequel on pense exceller. Il faudra ensuite développer des connaissances profondes et une expertise pointue dans le domaine en question. La technologie est là pour renforcer ; il faut donc apprendre à l’utiliser et l’adapter à différents types de business. Par exemple, un hôtelier doit apprendre comment développer une nouvelle clientèle en ligne.
Avez-vous un mentor ?
C’est important d’avoir un mentor pour le domaine qu’on aimerait apprendre, ceci pour corriger ses erreurs et avoir un exemple à suivre. Oui, j’ai des mentors ! Je ne pense pas que je serais là aujourd’hui sans leur apport. Ce sont des gens expérimentés dans ce qu’ils font et régulièrement ils me conseillent et me recommandent des choses. J’ai eu de la chance qu’à l’université d’Ottawa ils connectaient les étudiants avec des personnes du domaine déjà diplômées par l’université. Dans ce cadre, j’ai aussi eu la chance d’avoir comme mentor Suzan Bibeau, désormais une grande amie à moi. Elle siège aujourd’hui au conseil d’administration de toutes mes entreprises.
Chacun peut-il mentorer les jeunes ?
Il est important de choisir le bon programme de mentorat car ce n’est pas tout le monde qui est peut-être mentor. On doit chercher un mentor pour un besoin spécifique et non pour des choses générales. En somme, pour une expertise pointue qui nous manque et qu’on a besoin de développer.
Mentorez-vous d’autres jeunes à votre tour ?
Présentement moi aussi je suis mentor pour plus de 20 jeunes entrepreneurs; c’est une manière pour moi de redonner ce que j’ai reçu et aussi apprendre d’eux car le mentorat est dans les deux sens.
Entretien mené par Gaël N. Mombio