Les Rencontres Fraternelles du Sud (REFRAS) ont suscité beaucoup de réactions dont certaines ubuesques, chez nos commentateurs du dimanche. Afin d’aider ce mouvement à réaliser ses objectifs déclarés, une analyse s’impose. Elle se fera ici avec le recul nécessaire, et à l’aune de l’approche systémique, et permettra d’en clarifier le positionnement sur l’échiquier national d’abord (I). L’analyse établira ses fonctions politiques potentielles en contexte de Décentralisation ensuite (II).

I. Le Positionnement des REFRAS

Au plan juridique, les REFRAS sont une association loi 1990. A cet égard, elle ambitionne d’acter le changement au moyen de la Décentralisation. La liberté de s’associer pour participer à la transformation de la société est le fondement même de la démocratie et le signe de sa vitalité. Les Associations et autres syndicats, en tant que Corps Intermédiaires (CI), sont d’importants acteurs du champ politique.  

Guillaume Lohest, dans (Les « corps intermédiaires », un concept vital ! Les Équipes Populaires – Étude 2017.), écrit : « Un corps est un groupe d’êtres, plus ou moins organisé, qui forme un ensemble solidaire en raison d’intérêts communs. L’adjectif intermédiaire qualifie ce qui occupe une position moyenne, est placé entre deux choses et assure la transition entre elles ». Plus opératoire, la définition est ici politique, et non au sens large ; elle se situe au carrefour des concepts de société civile, d’association, de lobby et de subsidiarité.

Aussi Lohest réduit-il les CI, à un sous-ensemble constitué des mouvements associatifs issus de la société civile organisée : « … qui s’insèrent entre l’État et les individus et se dotent d’une organisation pérenne, dont les finalités comprennent une dimension politique qui s’exerce principalement en-dehors du cadre de l’élection des représentants politiques, c’est-à-dire par des activités d’éducation permanente, de plaidoyer, de concertation et d’action collective. »

Quant à lui, Pierre Rosanvallon, sociologue et historien français taxe les CI d’« institutions de l’interaction ». Il ne considère plus tout ce qui pourrait s’intercaler entre État et Individus, mais des « …formes reconnues de la société civile organisée constituant un troisième secteur organisé, coulissant, d’une part, entre l’État et les individus/citoyens, et d’autre part, entre l’État et le marché ».

Ces définitions, permettent d’appréhender les éventuelles fonctions que pourraient remplir les REFRAS.

II. Les fonctions politiques en contexte de Décentralisation

Les CI sont donc le sel de la démocratie qu’ils animent. Conçu au sens opératoire, les ils remplissent de près ou de loin, 9 fonctions principales d’après Lohest. Mutatis mutandis, les REFRAS ayant pour ambition de consolider les acquis afin de construire l’avenir grâce à la décentralisation, les mêmes rôles lui incomberont.

  • L’expertise du vécu

Ce que vivent et pensent les gens, personne ne peut le saisir globalement et en toute objectivité. L’opinion a été surprise par les récentes frondes de certaines populations du « socle granitique » du RDPC. Les syndicats, les associations, par leur structure qui repose sur des petits groupes de base, en entreprise ou dans la vie de tous les jours, permettent à des opinions et à des expériences diverses de « faire corps », d’être traduites en revendications, en diagnostics, en expertise de terrain.

Créées par l’élite, les REFRAS pourraient donc servir de réceptacle des doléances des populations à la base. Celles-ci gagneraient alors à s’organiser en divers CI pour « faire corps » et se faire entendre.

  • La vie collective

Les CI ont en commun de permettre à chacun (e) de faire l’expérience du collectif, avec les contraintes et dynamiques qui l’accompagnent. Analyser une situation, faire des choix dans l’action, s’organiser, établir des règles de fonctionnement, partager des déceptions, des indignations ou, au contraire, des satisfactions, des victoires, tout cela est un terrain où l’on expérimente la vie collective.

De ce point de vue, en contribuant à une nouvelle « vie collective » où personne ne se sentira plus exclu, les REFRAS pourront aider à réduire la fracture sociale ouverte et la dichotomie saillante entre les élites et la base.

  • La structuration de la société

Les êtres humains sont des animaux ultra-sociaux. Ils font partie de groupes, et ces groupes structurent la société, forgent des identités. Au-delà des appartenances familiales, géographiques ou religieuses, l’affiliation à un syndicat ou à une mutuelle, l’engagement plus ou moins marqué dans des associations contribue à inscrire les individus quelque part dans la société.

Cela leur donne une place, les relie à d’autres, les situe dans une histoire collective. Sans CI, la structuration de la société est moins riche : elle se réduit à la famille, au voisinage, aux collègues. Plus les appartenances se multiplient, plus les possibilités de se rencontrer, de se confronter et de se comprendre augmentent.

La société bamiléké est emblématique à cet égard. En effet, ce qu’on appelle le « Dynamisme des Bamiléké », outre les efforts personnels, repose essentiellement sur le maillage de cette communauté par une foultitude de CI. Les REFRAS devraient donc éduquer les populations à s’organiser par groupes d’intérêt pour faciliter leurs accès aux différents avantages qu’offrent les CTD.

  • La protection des personnes 

Il n’y a pas besoin ici de nombreuses explications. Un syndicat protège ses affiliés (contre un licenciement par exemple, ou contre une mesure politique qui leur nuirait), une mutuelle met ses membres à l’abri des aléas financiers liés à la santé, tandis que de nombreuses associations offrent une assistance (juridique, technique) aux personnes.

En clair, les REFRAS devront servir de « refuge » à tout Sudiste en difficulté.

  • La mise en forme du conflit

En mutualisant les problèmes et les injustices, vécues ou perçues, les CI donnent forme à des conflits (sociaux, politiques, culturels), ils les rendent lisibles par la société, ce qui est une condition nécessaire (mais pas suffisante) de leur dépassement. Le conflit est au cœur même de la démocratie.

N’empêche, il faut savoir le prévenir, et surtout le gérer au mieux quand il survient. S’ils sont à l’écoute des populations, les REFRAS aideront à mutualiser les problèmes et à les dépasser.

  • La participation au pouvoir 

De nombreux CI participent, de façon directe ou indirecte, à la gestion des affaires publiques. Ces groupes sont en réalité des organisations politiques.

Les troubles allumés dans le Sud traduisent le sentiment d’exclusion que ressent une population d’autant plus frustrée que son soutien n’a jamais fait défaut au chef de l’État. Les REFRAS contribueront à une meilleure participation locale des populations au Pouvoir, en leur facilitant l’accès aux opportunités offertes par les CTD.

  • Le contre-pouvoir

Subtil paradoxe, les mêmes organisations peuvent à la fois participer et faire contrepoids au pouvoir institué. Au fond, ces deux dimensions sont les deux faces d’une même pièce – susceptibles de faire une seule et même fonction. Quand une coalition de la société civile parvient à faire reculer un gouvernement sur un projet de loi, elle joue un rôle de contre-pouvoir. Le lendemain, elle aura peut-être un impact sur la rédaction d’un nouveau projet de loi…

C’est cela aussi la démocratie. Aussi serait-il illusoire (sinon dangereux), pour les REFRAS de vouloir brider des populations frustrées. Elles gagneraient au contraire à les encadrer et les encourager à se constituer en Associations, Syndicats, Coopératives… pour jouer le rôle de contre-pouvoir le cas échéant. De cette manière, l’adversité sera mieux gérée.

  • Éducation permanente et culture politique

Personne ne pense seul, personne n’agit seul. Quand ils travaillent à partir de l’expérience des gens, avec eux, dans une exigence critique, les CI sont de vraies fabriques de « savoirs sociaux stratégiques », selon les mots du philosophe Luc Carton.

Autrement dit, cela transforme des vécus multiples et éclatés en trajectoires politiques. C’est ainsi que des milliers de membres d’Associations, de syndicats, acquièrent une culture politique à partir de leur pratique, inscrite dans des processus de réflexion et d’action collective.

Les REFRAS sont ici concernées par la mission d’éducation et de culture politique de la base. En le faisant en permanence, les citoyens du Sud d’approprieront les enjeux de la décentralisation. Cette approche éloignera les populations des sirènes des vendeurs d’illusions.

  • Le lobbying

Bien que connoté négativement dans la société civile, le terme lobbying fait partie des fonctions que remplissent les CI. C’est probablement la garantie que les décisions politiques ne soient pas prises contre l’intérêt des personnes et groupes concernés par ces décisions.

         Qui dans ce sens, mieux que les REFRAS, forum de la crème de l’intelligentsia et de hauts Responsables de la République à l’instar du Pr Jacques Fame Ndongo, est mieux placé pour faire le lobbying auprès du Pouvoir Central et autres bailleurs de fonds internationaux en faveur des populations ! Ne pas le faire serait s’aliéner de plus en plus cette base d’une fidélité jusqu’ici irréprochable. Les conséquences seraient alors néfastes…

Par ces éléments les REFRAS sont une grande chance pour le Sud.

Michel Mombio

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